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Marina Gavaldão : « un plaidoyer au quotidien »

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Ingénieure forestière spécialisée dans la mesure des services ecosystémiques, Marina Gavaldão a fait ses études dans son Brésil natal, puis en Suisse. C’est à Marseille qu’elle a choisi de vivre, et après de nombreuses expériences, notamment au GERES et à Pur Projet, elle travaille aujourd’hui en tant « Head of Project Development & Portfolio Management Unit » chez EcoAct. C’est dans ce cadre qu’elle a accompagné CAPTE dans la construction d’une plateforme de gestion et de suivi de systèmes agroforestiers. Celle-ci a été conçue dans les respects des normes internationales de la finance carbone. Convaincue de la nécessité de l’interdisciplinarité dans les questions de développement durable, et heureuse de la multiplicité des initiatives en la matière, elle a accepté de partager son expérience avec nous.

Avez-vous toujours été intéressée par « l’économie verte » et le développement durable ?

Très tôt, oui, dès mes études d’ingénierie forestière au Brésil. Pendant la deuxième année, j’ai commencé à travailler dans un centre de recherche et d’économie appliquée, avec les mécanismes du Protocole de Kyoto, en particulier le MDP -Mécanisme pour le Développement Propre. Très vite, j’ai senti qu’il fallait que le changement climatique soit dans les préoccupations des politiques publiques. On faisait des position papers, des publications pour essayer de les influencer. Cet Institut était un des pionniers. J’ai commencé à m’intéresser au marché carbone en 2002, et durant mon Master en développement durable en Suisse, je travaillais sur les services écosystémiques. Le carbone était déjà considéré comme une « commodity », puis l’eau et la biodiversité ont été vus comme des services potentiellement « monétarisable », si on peut le dire comme ça. En parallèle, je travaillais avec des projets de terrain, en Asie, en Afrique, en Amérique Latine, avec des technologies qui sont plus résilientes au changement climatique, qui sont moins émettrices. Il était inconcevable de faire un travail de recherche en restant dans une bibliothèque.
J’ai ensuite travaillé chez TFT -The Forest Trust-, et comme directrice technique au Geres et chez Pur Projet. Aujourd’hui, je suis responsable du développement et de la gestion du portefeuille de projets chez EcoAct, l’un des leaders mondiaux pour l’action climatique des entreprises. EcoAct apporte aux entreprises et aux territoires une expertise unique pour anticiper et se transformer positivement face aux enjeux climat et carbone.

En quoi consiste le travail de consultante pour l’action climatique des entreprises ?

Il s’agit de conseiller des entreprises, des ONG ou des territoires en ce qui concerne les instruments financiers pour le climat, qu’il s’agisse de la finance carbone, avec des projets de reboisement et d’agroforesterie, mais aussi des énergies renouvelables. Il y a aussi une dimension politique, avec les NAMAs -Nationally Appropriate Mitigation Actions-, qui sont des plans de politique publique. Avec des approches géographiques, sur un pays ou une région, ou par filière. Plus globalement, j’ai toujours été intéressée par l’économie, et sensible à ses dérives ; selon moi, il faut changer, mais cela ne peut se faire que de l’intérieur, il n’est pas possible d’arrêter le système, mettre les compteurs à zéro. Et pour cela, on doit faire en sorte qu’on reconnaisse la valeur des ressources naturelles ; je dis ça avec plein de guillemets, parce que la valeur est une valeur souvent très relative, mais il me semble important que demain elle soit intégrée dans les décisions économiques de chaque instance et de chaque individu. Travailler dans ce domaine, c’est apporter mon grain de sel à ce grand écosystème qui s’appelle le monde.

 

 Quel est selon vous le rôle, aujourd’hui, de la finance-climat, et son utilité ?

Face à des phénomènes de pollution inquiétants, historiquement les pluies acides par exemple, la pollution de l’air dans les villes, des sols…, il y a une vraie prise de conscience. La société se rend compte que l’air propre a une valeur, et qu’il faut trouver des mécanismes, des instruments légaux, avec des incitations économiques, pour éviter ces phénomènes qui importent le bien commun et nos sociétés. Face à cela, il y a deux principes : la prévention ou la remédiation. Or il est moins cher de mettre en place en amont des mesures de prévention que de payer ensuite pour les dégâts, les pots cassés, les mauvais choix. L’idée, c’est de chiffrer tout ça, et faire en sorte que le système social, avec des lois et des instruments juridiques, puisse comptabiliser et prévenir les impacts de la pollution.

Aujourd’hui, seulement 1% des entreprises font de la compensation carbone. Pourquoi, à votre avis ? Y a-t-il trop d’incertitudes ? La dynamique est-elle cependant au développement de ces comportements. De quel côté penchez-vous ?

Je penche du côté de ceux qui travaillent sur le sujet depuis longtemps et qui savent qu’il y a des périodes, des phases, de la croissance et de la récession… Par rapport au début du siècle, le marché semble consolidé, des progrès ont été faits, mais il faut rester vigilants et prudents, parce que c’est un marché où on compte peu d’acteurs, et qui est soumis aux aléas des marchés financiers. Il faut le prendre avec soin car c’est un marché que l’on construit nous-mêmes. De plus en plus, de gens sont volontaires, s’en rendent compte et peu à peu pourront payer. C’est un plaidoyer au quotidien, comme le choix tous les matins de prendre un vélo ou une voiture : quand tu as les moyens de le faire, quand tu as des jambes qui fonctionnent, tu décides de prendre le vélo plutôt que la voiture…

Au sein de l’entreprise, quels sont vos interlocuteurs ?

Souvent, notamment pour les petites structures, c’est la direction, parce que la finance carbone est un choix stratégique, avec un investissement assez important dès le début. Dans le cas des grandes entreprises, nous interagissons avec les responsables de Développement Durable. On interagit aussi avec d’autres secteurs, par les responsables des achats et des matières premières sont associés. Il y a aussi des interlocuteurs intermédiaires, des opérateurs carbone, des auditeurs avec qui je travaille à l’obtention des certifications, à la mise en place de projets, leur validation, leur vérification. Je peux aussi intervenir dans la vente de crédits, en direct ou avec des intermédiaires qui veulent en acheter.

 

Quel est le profil des clients ?

C’est vraiment diversifié, il n’y a pas de règle, il y a des grandes organisations mais aussi des petites entreprises, des petites ONGs… Il y a de la place pour beaucoup, à condition d’avoir de la persévérance et du talent. L’important, c’est qu’il y ait une prise de conscience, notamment que les entreprises ne vont jamais réussir à être vraiment neutres en carbone, qu’à un moment donné elles vont devoir faire de la compensation. En fait, tous les instruments financiers liés au climat aujourd’hui doivent cohabiter, communiquer. Toutes les formes de compensation sont utiles, mettre des barrières entre elles ne sert qu’à affaiblir le marché.

Que pensez-vous de la controverse autour de la finance carbone, souvent assimilée au droit de polluer. On a évoqué tout à l’heure l’utilité de l’outil, mais pensez-vous que certaines entreprises sur-communiquent parfois sur leurs engagements ?

Il y a évidemment des personnes qui abusent, qui exagèrent, et en effet on peut parler de « droit à polluer » chez ceux qui ne réduisent pas leurs émissions et achètent des tonnes de crédits carbone… Alors oui, il y a des dérives, il faut les dénoncer, mais je dirais que c’est inhérent à tous les outils financiers, et l’on doit se poser la question du modèle d’économie que l’on veut face à une « financiarisation » qui va dans tous les sens. Pourtant, ces systèmes sont nécessaires pour changer les choses, c’est aujourd’hui ce que l’on a de plus concret pour les porteurs de projets liés au climat. L’argument qui pour moi fait le plus sens, c’est ce que j’évoquais plus tôt, la question de la remédiation ou de la prévention. Aujourd’hui, les coûts de la pollution sont partagés par toute la planète, sauf que certains en payent plus « cher » que d’autres les conséquences, notamment en termes de santé. Ce qui, je crois, va vraiment changer la donne, c’est que, hélas, de plus en plus, il y aura des sècheresses, des grosses crises environnementales, et les entreprises vont comprendre qu’il y a un vrai risque d’approvisionnement en matières premières. C’est un peu cynique, mais ce moment-là elles comprendront pourquoi il faut payer aujourd’hui pour assurer le business à l’avenir.

L’équipe Capte

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