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Caroubier et symbioses: une histoire méditerranéenne ancienne revisitée, la suite

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Suite de notre série d’articles consacrés par CAPTE au caroubier : aujourd’hui nous nous intéressons à la génétique et aux symbioses microbiennes du caroubier. Deuxième partie de notre entretien avec Hervé Sanguin et Alex Baumel qui partagent avec nous les principaux résultats du projet Dynamic.

Le projet Dynamic est un projet scientifique collaboratif autour du bassin méditerranéen qui a débuté en 2015. Il a pour objectif d’étudier l’écologie du caroubier (Ceratonia siliqua) et de ses associations racinaires symbiotiques, dans le but de donner de nouvelles pistes pour une intensification agroécologique et une meilleure restauration des écosystèmes et agrosystèmes à caroubier dans le cadre du changement climatique.

PARTIE 2 : Un peu de génétique et de symbiose microbienne chez le caroubier

Il y a un certain flou en Tunisie sur les variétés, cultivars… Malgré un processus de domestication faible dans le pays, il existerait une grande diversité génétique. Or d’après ce que vous dites ces variabilités entre les plants tunisiens ne seraient pas si importantes que ça ?

Alex Baumel (AB) : La diversité génétique est faible en général. Mais la domestication chez le caroubier est loin d’être complète, c’est à dire que les cultivars ne forment pas un groupe génétique isolé des populations sauvages (comme l’exemple de la vache et de l’auroch).

Hervé Sanguin (HS) : En effet, il n’y a pas eu de sélection variétale sur le caroubier comme pour les agrumes par exemple. Pour le caroubier, cette sélection reste empirique.

AB : Oui par exemple, il y a très probablement des plants sélectionnés par un agriculteur puis greffés et qui restent pendant plusieurs générations dans une même exploitation. On n’en est ainsi qu’au premier stade de la sélection. Pour être plus précis, on ne trouve pas de traces de sélection dans le génome. Elles doivent exister mais sont très ténues. La différence entre arbres sauvages et cultivars s’explique sûrement plutôt par l’expression ou non de certains gènes selon les conditions environnementales. L’arbre est aussi soumis à un brassage génétique important (arbre dioïque). Les qualités agronomiques ne peuvent donc se conserver que dans le clonage, à travers le greffage.

HS : Contrairement aux agrumes, les porte-greffes ne sont pas sélectionnés pour le caroubier. C’est un désavantage à court terme dans le cas où on recherche un phénotype particulier et une homogénéité au sein des vergers. De plus, c’est difficile de trouver des traits de résistance précis comme une résistance à la salinité. Par contre, dans une optique de culture durable du caroubier, cela permet de garder de la diversité et c’est donc beaucoup plus intéressant à long terme pour s’adapter à des variations environnementales . On peut aussi s’intéresser aux symbioses microbiennes, car on sait maintenant que les interactions plante-microorganisme permettent de moduler l’expression de certains gènes chez la plante. On arrive d’ailleurs à distinguer les effets porte-greffe ou cultivar sur les symbioses microbiennes, même si interaction avec le sol reste probablement surtout dépendante du porte-greffe.

Quels sont vos conseils pour mettre en place un verger plus résilient, quel matériel génétique utiliser à l’origine ?

A.B : Si pour le porte-greffe, les agriculteurs partent d’un lot de graines plus important que ce dont ils ont besoin, cela permet déjà de réaliser une sélection au stade plantule. Car comme pour beaucoup d’arbres, seuls quelques individus parmi les milliers de graines produites arrivent à l’âge adulte. Il y a ainsi une adaptation locale possible chez les arbres. C’est un processus naturel favorisant la réponse à la sélection naturelle qui permet de compenser la longue durée de vie des arbres.

H.S : Idéalement, il faut partir sur des génotypes qui se sont installés hors champs à proximité de la parcelle et qui sont donc bien adaptés à l’environnement local. L’objectif premier est d’avoir une approche locale pour générer une stratégie bien adaptée plutôt qu’utiliser un génotype avec certains traits donnés et fixés, testé seulement dans une station expérimentale qui est par la suite disséminé partout dans le monde.

A.B : Oui, il faut éviter la stratégie industrielle utilisée pour l’olivier. On se retrouve avec des surfaces énormes sans aucune diversité génétique. C’est très risqué car pour répondre à des avantages industriels, le risque d’échec est total en cas de maladie. L’approche agroécologique dans la sélection, différente de ce qui se fait actuellement, est, je pense, indispensable. Il faut retourner vers une diversité des porte-greffes et des cultivars. Cette diversité n’empêche pas une sélection mais consiste à ne pas mettre « tous les œufs dans le même panier ».

H.S : En effet, il faut éviter ce qui s’est fait avec le blé dont les variétés actuelles sont maintenant adaptées à beaucoup d’apports en intrants, en nutriments… Elles ont en même temps perdu la majorité des interactions symbiotiques du sol. C’est de là que part l’objectif de notre projet avec une recherche de génotypes qui auraient co-évolué avec les microorganismes du sol. Cela permet une optimisation de la croissance du caroubier, et ce dans des conditions plus proches d’un système agroécologique, ce que l’on cherche à préconiser.

Cependant, le développement de la filière dépend aussi des débouchés et de ces débouchés dépendent le matériel génétique utilisé, selon si l’on souhaite une grosse quantité de graines ou plutôt de la pulpe par exemple.

A.B : C’est vrai qu’il faut choisir entre pouvoir prévoir la production et être certain de ce qu’on attend ou bien favoriser la diversité au sein du verger. Avec des vergers aux variétés non fixées, il y a en effet le problème de l’incertitude du rendement mais en même temps, cela augmente l’éventail des possibilités. Dans les vergers traditionnels, on retrouve plusieurs cultivars, et parfois plusieurs cultivars sur un même arbre (nous l’avons vu sur des caroubiers anciens en Sicile), mais également des greffons mâle et femelle sur un même arbre. Il est alors difficile d’avoir une idée exacte du rendement attendu.

H.S : Mais en termes de résilience, d’aléas climatiques plus imprévisibles et dans l’optique du changement climatique, un verger un peu diversifié sera un verger qui sera plus résistant à ces pressions plus fortes de l’environnement.

A.B : Oui et même plus résilient par rapport aux changements d’objectifs socio-économiques car tout dépend de ce qu’on cherche dans la caroube. Avant on favorisait la pulpe (cela provient des usages du Moyen-Âge) mais maintenant on recherche plutôt la graine pour une application industrielle (ndlr : la graine contient du galactomannane, aussi appelé E-410, aux propriétés épaississantes qui est largement utilisé dans les industries agroalimentaires notamment dans la confection de yaourt par exemple). Or des gousses avec un ratio favorable à la biomasse des graines, c’est ce qui se trouve plutôt chez les arbres non sélectionnés, c’est-à-dire des arbres ayant poussé spontanément.

H.S : Des recherches sont actuellement menées en Espagne dans leurs collections anciennes de cultivars afin de rechercher ceux qui présentent des traits liés à une meilleure production de graines. Les cultivars qui étaient jusque-là utilisés avait été sélectionnés par rapport à la taille ou l’épaisseur de la gousse.

A.B : De plus, de nouvelles applications de la caroube sont possibles. Cependant, y a-t-il réellement un avenir pour le caroubier en agroalimentaire humaine avec de nouveaux produits comme par exemple dans la nourriture diététique (valorisation des caroubes pour des propriétés favorables à notre organisme) ? Cela peut aussi permettre à des petites exploitations de se positionner sur des créneaux très fins et pointus. Il y a beaucoup de recherche en cours avec des laboratoires qui travaillent sur ces nouvelles applications potentielles. D’où l’importance de maintenir de la diversité dans les vergers ainsi qu’une approche expérimentale à petite échelle qui permettent de répondre à ce type de demande. Donc avec les incertitudes sur les débouchés, d’autant plus que cela reste un arbre qui produit au bout de plusieurs années, mais aussi avec les incertitudes sur les aléas climatiques, maintenir la diversité génétique semble être primordial.

Notre approche est de mettre en place des vergers mixtes en mélangeant par exemple d’autres espèces comme l’olivier avec le caroubier, ou alors en faisant de l’agroforesterie avec des cultures intercalaires comme des fourrages. Cela permettrait un complément de revenus mais aussi d’éviter des monocultures intensives de caroubiers. Y aurait-il des effets positifs avec d’autres espèces notamment au niveau des symbioses microbiennes ?

HS : Juste une petite remarque, le caroubier fait partie de ces plantes du genre Fabacées qui n’ont pas la capacité de former des nodosités, donc ne pouvant fixer l’azote de l’air de manière similaire à de nombreuses légumineuses. Il pourrait cependant exister des interactions plus « primitives » avec les bactéries du sol.

Pour l’instant nous avons des résultats préliminaires, qui restent encore à confirmer. On cherchait par exemple à savoir si les microorganismes associés au caroubier étaient les mieux adaptés à sa croissance ou à sa tolérance au stress hydrique. Car on se rend compte qu’il y a des spécificités d’interactions et que les symbioses mycorhiziennes par exemple présentent aussi certains niveaux de spécificités se traduisant par des taux de colonisation variables et une efficience symbiotique différente suivant les individus. Ce niveau de spécificité a été jusqu’à récemment peu pris en compte.

Nous avons donc réalisé des inoculations en pépinière sur de jeunes plants de caroubiers, avec les microorganismes qu’on retrouve naturellement associés au caroubier puis avec des microorganismes issus d’autres plantes, mais qu’on retrouve dans son habitat naturel. D’après nos résultats, les microorganismes associés naturellement au caroubier sont ceux qui permettent les meilleurs taux de croissance en conditions hydriques optimales. Or s’il y a un stress hydrique très fort, l’histoire est différente. C’est en particulier observable pour les microorganismes qui proviennent du pistachier lentisque (Pistacia lentiscus). Les microorganismes du pistachier n’étaient pas ceux qui permettaient la croissance la plus rapide en conditions optimales, mais ils confèrent la meilleure résistance au stress hydrique. Donc associer le caroubier à d’autres espèces peut clairement être une solution intéressante. Cela mène à réfléchir à des stratégies avec par exemple, une 1ère vague de plantation avec une plante bénéfique comme par exemple le pistachier pour orienter le potentiel microbien du sol suivi de l’installation des plants de caroubiers dans le sol conditionné, ou de maintenir un couvert végétal permanent avec ces plantes dites bénéfique. Ainsi, le caroubier recruterait des microorganismes présélectionné qu’il n’aurait pas trouvé naturellement dans le sol.

On a pu observer des systèmes agroforestiers traditionnels au Maroc, dans lesquels on retrouvait souvent une association orge-caroubier ou fève-caroubier. Les microorganismes issus de l’orge, par leur effet positif sur la flore mycorhizienne du sol, semblent aussi permettre une meilleure croissance du caroubier dans nos expérimentations (sur certains paramètres et dans des conditions optimales de croissance). Mais les communautés issues de l’orge ne conféraient pas une grande résistance du caroubier au stress hydrique (par rapport aux communautés issues du pistachier par exemple). Donc tout dépend des caractères agronomiques auxquels on s’intéresse. Et tout ceci dépend aussi des combinaisons de plantes étudiées, et cela implique de choisir des stratégies culturales adaptées au contexte local.

A.B : Dans un tout autre registre, l’association caroubier-pastoralisme est très intéressante et se fait beaucoup à Chypre. Cela demande de protéger les arbres avec du grillage pour éviter que les animaux (chèvres en général) montent sur l’arbre et l’endommagent. En plus de nourrir le bétail, les caroubiers permettent de faire de l’ombre aux animaux mais aussi à l’agriculteur. En France, les caroubiers étaient autrefois très présents en bord de route ce qui permettait de nourrir les animaux des voyageurs. Cette association caroubier-élevage pourrait tout à fait être adaptée en Tunisie, où il y a beaucoup d’élevage ovin.

Selon vous, une inoculation serait-elle possible au moment de la plantation, par exemple avec des inoculum mycorhiziens commerciaux ?

HS : Les inoculum commerciaux ne sont pas forcément les plus compétitifs en milieu local car souvent validés dans des conditions expérimentales bien particulières et pas forcément bien adaptés aux conditions du sol et à la plante hôte. Ce qui se fait généralement, ce sont des pré-inoculations des plants en pépinière. Il faut tout de même faire attention aux résultats car il y aura généralement un effet bénéfique des mycorhizes en pépinière, mais lors du passage des plants inoculés au champ, ces effets peuvent s’estomper rapidement, voir devenir négatif. Les caractéristiques locales sont cruciales à prendre en compte, de même que la quantité d’inoculum si on espère un effet au champ notable. Les variations des contraintes abiotiques ou le statut microbiologique natif peuvent modifier durablement les effets bénéfiques observés en pépinières.

Donc pour moi le plus intéressant, c’est vraiment de favoriser / conditionner ce qu’on a initialement dans le sol via l’utilisation de plants de couvertures et de combinaisons de plantes ayant un effet bénéfique sur les microorganismes du sol. Sauf bien sûr dans le cas où il y aurait des maladies sur le caroubier, là il faut adapter en fonction.

Quelle est maintenant la suite pour le projet Dynamic ?

H.S : Nous avons sollicité plusieurs bailleurs publics à l’échelle européenne pour poursuivre ces recherches mais nous avons fait face à plusieurs refus. Parmi les arguments justifiant le refus, le poids économique du caroubier a été mis en avant car faible par rapport à d’autres cultures spécifiques du bassin méditerranéen. Actuellement, les priorités portent majoritairement sur les grandes cultures comme le blé, la tomate ou l’olivier ou sur des systèmes plus diversifiés incluant ces espèces végétales. La continuité du projet semble donc soumise aux choix stratégiques des financeurs pour soutenir cette filière. Même si nous avons un projet de recherche solide, pour obtenir de nouveaux financements, nous sommes dépendants de la compétition avec les autres projets. Pour la suite, notre étude pourrait rester aussi globale, en continuant de s’intéresser à l’ensemble du bassin méditerranéen mais en affinant nos travaux dans les régions sous explorées (zones marginales ou pays non étudiés comme la Tunisie, Syrie, Israël…) ou alors cibler un type d’agrosystème donné.

A.B : Comme nous l’avons déjà dit le caroubier ne présente pas autant d’enjeux financiers sur le bassin méditerranéen que l’olivier par exemple. À Chypre, le caroubier fait par exemple face à une déprise agricole due au manque de subventions pour la culture. Il y a un manque d’intérêt économique par rapport à l’olivier et aux agrumes. Mais en parallèle, en Crète, de plus en plus de produits à base de caroube sont en développement.

Il n’est pas évident de voir quelle place a le caroubier dans les agrosystèmes mais elle est rarement centrale. C’est en général plutôt un complément de revenu, mais un complément stable. Le caroubier occupe donc une place très ambiguë : ce n’est pas un fruitier majeur mais il y a quand même une tension sur les caroubes avec des pays qui se mettent à importer beaucoup comme l’Italie, qui a besoin de caroubes pour répondre à la demande de sa filière industrielle.

Quelques informations sur nos deux interviewés

Hervé Sanguin (H.S) est chercheur spécialisé en microbiologie environnementale au CIRAD, au sein de l’UMR BGPI (Biologie et Génétique des Interactions Plante-Parasite), devenue depuis 2021 l’UMR PHIM (Plant Health Institute Montpellier). Il est le coordinateur du projet Dynamic.

Alex Baumel (A.B) est enseignant-chercheur à l’université d’Aix Marseille et réalise sa recherche au sein de l’Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie marine et continentale (IMBE). Il travaille en particulier sur l’évolution et l’écologie des plantes. Dans le cadre du projet Dynamic, il est en charge de la partie sur la diversité génétique du caroubier.

Merci à Marie-Gabrielle HARRIBEY qui a contribué à la réalisation de cet entretien dans le cadre de son stage.

CAPTE : ici on plante pour le climat !

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